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Axes de recherches

La recherche scientifique en finance connaît depuis quelques années une évolution importante, confrontée à des défis majeurs qui transforment les frontières traditionnelles de la discipline. Dans le contexte tunisien, ces transformations prennent une dimension particulière en raison des spécificités socio-économiques et de la position stratégique du pays (au carrefour de l’Afrique du Nord et la Méditerranée). Notre démarche scientifique vise à analyser ces mutations profondes et à proposer des cadres d’analyse innovants pour accompagner cette évolution.

La Tunisie, comme de nombreux pays émergents, se trouve à l’intersection de plusieurs trajectoires critiques de son développement économique et financier. D’une part, elle est appelée à relever les nombreux défis climatiques qui menacent directement son infrastructure et son développement (désertification accélérée, stress hydrique croissant, érosion côtière) et qui nécessitent une réorientation des flux financiers vers des projets durables (climate friendly). D’autre part, la révolution numérique à laquelle nous assistons ces dernières années transforme l’écosystème financier traditionnel, offrant des opportunités d’inclusion financière tout en posant des risques de marginalisation et de fracture technologique. Ces évolutions s’accompagnent de changements dans le comportement des investisseurs, des institutions financières et des régulateurs. Dans ce contexte d’incertitude, la gestion efficace des risques et de l’information financière devient des compétences stratégiques essentielles pour assurer la pérennité et la résilience du système financier.

Eu égard à ces défis interconnectés, notre laboratoire a développé une vision globale de la recherche scientifique pour la prochaine période 2025-2028, articulée autour d’une problématique centrale visant à apporter des éléments de réponse à la question centrale suivante :

Comment les systèmes financiers avec ses différents acteurs peuvent-ils concilier (1) les exigences de durabilité environnementale, (2) les opportunités de la transformation numérique portée par l’intelligence artificielle, (3) les comportements et les nouveaux acteurs économiques et (4) la nécessité d’un management efficace des risques et de l’information ? Cette question fondamentale guide l’ensemble de nos futurs travaux de recherche pour la période 2025-2028 et structure notre programme de recherche en quatre axes complémentaires et interdépendants.

Axe 1 : Finance durable et climatique

En effet, les préoccupations environnementales et climatiques occupent ces dernières années une place centrale dans le monde entier et constituent de plus en plus un défi majeur pour tous les systèmes financiers à l’échelle mondiale. En Tunisie par exemple, pays vulnérable aux effets du changement climatique avec des risques accrus de désertification et de stress hydrique la finance durable et climatique s’impose comme un levier essentiel de transformation et de résilience économique. Ainsi, tous les acteurs du système financier tunisien en l’occurrence les entreprises et les institutions financières sont appelés à intégrer les risques climatiques dans leurs cartographies globales des risques pour améliorer davantage leurs niveaux de résilience. Cette dimension climatique s’inscrit dans un mouvement au cœur duquel la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) gagne en importance dans le paysage économique mondial. La relation entre les pratiques RSE et la performance financière des entreprises tunisiennes constitue un champ d’investigation particulièrement pertinent, notamment dans une économie en développement où les ressources sont limitées et où les arbitrages entre rentabilité à court terme et durabilité à long terme restent complexes et difficiles à concilier. Les travaux récents montrent que l’impact de la RSE sur la performance financière varie selon les contextes, notamment dans la région MENA où les cadres institutionnels et culturels diffèrent sensiblement des modèles occidentaux, lieux d’émergence de ces concepts.

La transparence de l’information et le Reporting climatique, encore embryonnaires en Demande de renouvellement LR 2025-2028 Page 17 | 14 Tunisie (premier rapport ESG de la Bourse de Tunis au titre de l’exercice 2024, publié le 26/05/2025) sont des éléments importants pour renforcer la confiance des investisseurs et orienter les flux financiers vers une économie plus durable. Par ailleurs, le financement de la transition écologique constitue un autre défi important pour les prochaines années pour le monde entier, défi qui nécessite la mobilisation des investissements certes considérables, mais adaptés. Pour répondre à ces nouvelles exigences, de nouveaux instruments financiers durables, tels que les obligations vertes ou les prêts durables, ont émergé pour offrir des solutions innovantes capables de mobiliser des capitaux en faveur de projets à impact environnemental positif (climate friendly). Cependant, leur déploiement sur le plan pratique se heurte à des nombreux obstacles, notamment le manque de sensibilisation des acteurs économiques aux enjeux de la finance verte. Il est en conséquence nécessaire de signaler que la réglementation financière, entant que levier stratégique, est appelée à évoluer dans ce domaine pour accélérer la transition écologique en Tunisie, et ce en intégrant en autre des mesures incitatives appropriées.

Axe 2 : Technologie et digitalisation en Finance

Dans cette dynamique de transformation, la révolution numérique et digitale émerge comme un facteur accélérateur pour le développement d’une finance plus inclusive et durable. Les innovations financières technologiques à vocation environnementale constituent une opportunité pour démocratiser l’accès aux financements durables, renforcer la traçabilité des flux financiers et améliorer la transparence des marchés. L’innovation écologique, conjuguée à la transformation numérique, pourrait ainsi constituer un puissant vecteur d’accélération vers des modèles économiques plus résilients et respectueux des équilibres naturels.

Cette transformation numérique du secteur financier s’inscrit dans une dynamique de modernisation économique plus vaste, dans laquelle les nouvelles technologies occupent place prépondérante. Plus précisément, la digitalisation dans le domaine de la finance représente bien plus qu’une simple évolution technique : elle constitue une véritable révolution dans les modes d’accès, de traitement et d’utilisation des services financiers. Ainsi, les technologies financières, telles que la blockchain ou l’intelligence artificielle, sont en fait des outils puissants qui favorisent l’inclusion financière en réduisant les barrières dans les zones rurales, où 37 % de la population reste exclue du système bancaire classique. Ces innovations améliorent également la traçabilité et la transparence des flux financiers.

Cependant, il faut reconnaitre que ce progrès technologique soulève des défis importants, notamment en matière de cybersécurité, de protection des données et de stabilité financière. En Tunisie, où les cryptomonnaies sont interdites, l’équilibre entre innovation et régulation reste toujours une problématique difficile à résoudre. Dans de nombreuses économies émergentes, ces innovations technologiques alimentent des débats intenses sur l’équilibre optimal entre innovation et encadrement réglementaire. Les approches restrictives adoptées par certaines autorités répondent à des préoccupations légitimes concernant les risques de blanchiment, de financement illicite et d’instabilité financière, mais soulèvent également la question du risque d’exclusion de ces économies des dynamiques mondiales d’innovation financière.

Axe 3 : Approche comportementale de la finance et émergence des nouveaux acteurs

Cette tension entre innovation et régulation se manifeste également dans l’évolution des comportements des acteurs du système financier. L’hypothèse d’efficience des marchés, pierre angulaire de la théorie financière moderne formalisée par Eugene Fama (prix Nobel de 2013) est de plus en plus remise en question par l’observation de comportements irrationnels chez les investisseurs (Rober Shiller, prix Nobel 2013). En effet, les crises financières répétitives qui ont marqué l’actualité de ces dernières années laissent à penser l’existence de dysfonctionnements dans le système financier, dysfonctionnements sans aucun lien avec les fondamentaux économiques, dysfonctionnements qui s’accompagnent par des bulles spéculatives et des volatilités excessives, dysfonctionnements souvent attribués à l’inefficience des marchés financiers et à des bais comportementaux. Ces biais comportementaux comme l’excès de confiance, l’aversion à la perte et le comportement grégaire sont de plus en plus amplifiés dans un environnement numérique caractérisé par une vitesse de circulation de l’information toujours croissante conjuguée avec des réactions collectives amplifiées et rapides.

Dans le contexte spécifique des marchés émergents, et particulièrement en Tunisie, ces dynamiques comportementales présentent des spécificités liées essentiellement à des facteurs culturels, sociaux et économiques distinctifs. L’aversion au risque, par exemple, tend à s’accentuer dans un environnement économique mondial marqué par une instabilité structurelle et des incertitudes des politiques économiques toujours accrues (EPU, economic policy uncertainty). Ce contexte d’incertitude mondiale peut entraver l’innovation financière et compromettre l’allocation optimale des ressources vers des secteurs émergents à fort potentiel mais perçus comme plus risqués. La compréhension approfondie de ces mécanismes comportementaux et de leur évolution face aux innovations technologiques constitue un enjeu stratégique pour l’adaptation des politiques publiques et des stratégies institutionnelles aux réalités socioéconomiques locales.

Axe 4 : Information Financière, Incertitude et Risk Management

Dans ce contexte d’évolution accélérée et d’incertitude croissante, la qualité de l’information financière et l’optimisation du processus du management des risques deviennent des priorités stratégiques pour assurer la stabilité et le développement des écosystèmes financiers.

En effet, l’incertitude, qu’elle provienne des instabilités économiques, des perturbations climatiques ou des conflits géopolitiques, exige une logique d’optimisation dynamique des risques auxquels sont confrontés les différents opérateurs du système financier. La qualité de l’information financière et ses caractéristiques jouent dans ce cas un rôle fondamental pour assurer une efficience informationnelle capable d’instaurer un climat de confiance chez les investisseurs et une stabilité du système financier. Les pratiques de Reporting financier et extra-financier dans les pays du Maghreb, et notamment en Tunisie, ont connu une évolution significative ces dernières années, notamment avec l’adoption progressive des normes comptables internationales par les grandes entreprises cotées. Il est en conséquence indispensable de renforcer les capacités d’analyse financière et les dispositifs de supervision pour consolider la stabilité du système financier.

Nos recherches explorent la convergence de la finance durable, de la finance comportementale, de l’optimisation informationnelle et du management des risques ainsi que de la transformation numérique portée par l’intelligence artificielle. Ces dimensions, bien que parfois contradictoires, offrent des opportunités uniques pour les économies émergentes comme la Tunisie. En combinant rigueur analytique et solutions adaptées au contexte local, nous visons à éclairer ces enjeux et à proposer des pistes pour une finance plus résiliente, plus équitable et plus inclusive, en parfaite symbiose avec les standards mondiaux.

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